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Vendée Globe, semaine 5 : Tenir bon

5 jours


À une époque où tout semble si accessible, maîtrisable, connu, il est impossible de se figurer ce que vivent désormais les marins du Vendée Globe perdus dans les mers du Sud. D’eux, nous recevons certes plus d’images, de vidéos, de mots qu’auparavant, mais que peuvent-ils dire de l’usure, du stress, de l’adrénaline et de l’épuisement ? « L’Océan Indien, c’est le Diable », nous a dit cette semaine Alan Roura, et l’on comprend soudain que face à la brutalité de la nature, le solitaire redevient un pur instinct primitif, partagé entre fascination et effroi.

Enfin, il approche ! Ce n’est pas encore le bout du tunnel des mers du Sud, loin de là, mais un nouveau cap dans un Vendée Globe, et bientôt, avec le passage de la Tasmanie, un nouvel océan. Alan devrait dépasser ce mardi le cap Leeuwin et pouvoir, dans quelques jours, quitter cet Indien de dévastation qui, cette semaine encore, aura martyrisé la flotte du Vendée Globe, et poussé le skipper de Hublot dans ses plus résilients retranchements.

Car on a beau disputer son troisième tour du monde sans escale et sans assistance, on peut encore être surpris de l’intensité des éléments. Ce « cru Indien 2024 » fut de l’avis du plus expérimenté des jeunes marins, absolument épouvantable. Le vent fort, les rafales à plus de 60 nœuds, passent encore, il s’y était préparé. Mais c’est la mer, la redoutable mer, qui les a tous malmenés. « La mer me freine vraiment trop, toujours ce problème de bateau qui s’emballe en mode on/off sans pouvoir vraiment jouer l’entre-deux », cherche à illustrer le marin face à son clavier.

Mais comprend-on vraiment ce que cachent ces mots ? Un bateau de 18 mètres tout en carbone, où le moindre choc résonne comme un gong assourdissant, qui ne demande qu’à accélérer de toute sa puissance dans une première vague de 7 mètres, mais est déjà rattrapé par la suivante, tout aussi grosse, pas toujours du même côté, et freiné net quand elle vient s’y briser avec brutalité… alors qu’une rafale de 40 nœuds couche soudain le bateau, réglé pour un vent de 25 ? Et ceci sept jours sur sept, 24 heures sur 24, avec toujours cette même litanie, lancinante, en tête : « Est-ce que ça va tenir ? Jusqu’à quand ça peut tenir ? »

Le choix raisonnable

Alors forcément, après près de quinze jours déjà à ce rythme-là, il y a « l’impression que ça ne s’arrêtera jamais de se faire démonter », confesse le Suisse, qui garde malgré tout son infatigable verve. « Sans compter que, comme d’habitude, on n’a pas le vent prévu sur les fichiers, ni en angle ni en force, et c’est toujours très embêtant », raconte le marin, un peu usé quand même.

C’est d’autant plus rageant lorsqu’on a l’impression que les éléments se liguent contre nous, et épargnent les autres. Car en effet, entre les différents petits paquets qui se sont créés au fil des systèmes météorologiques, tous n’ont pas été aussi mal servis en termes de tempêtes australes… Quand certains devant ont réussi à traverser l’océan sans trop de tracas, Alan Roura a dû, lui, grimper sacrément Nord pour échapper à certains fronts violents, qui ont soulevé une mer devenue impraticable. Certains ont bien tenté de filer par le Sud, comme Guirec Soudée, Tanguy Le Turquais ou Louis Duc, mais ont multiplié les avaries…

Alors on sait que c’est le choix raisonnable, mais tout de même, on enrage. « On n’est pas loin de faire deux fois plus de route que les autres groupes ! réalisait le marin suisse en début de cette cinquième semaine, cherchant désespérément la porte de sortie. J’ai l’impression d’être déjà très Nord dans ma route, je ne peux quand même pas passer au-dessus de l’Australie ! »

Qu’il se rassure, Hublot, toujours en 20e position, a bien trouvé le moyen de redescendre. Mais dans ce Grand Sud, c’est le règne de l’immédiateté, et il reste difficile de se projeter. Il faut endurer, une vague après l’autre, une rafale après l’autre. Tenir le rythme, infernal, la fameuse machine à laver qui ne sait plus s’arrêter. Après deux jours de silence, le marin suisse réalise qu’il n’a pas donné signe de vie, et s’en excuse. « C’est que le temps passe vite ? Ou lentement, je ne sais pas… Ici, quand le bateau n’arrive pas à dépasser la vague de devant, le temps est long, très long… Mais je garde la cadence ! »

« C’est mon côté suisse ! »

Heureusement, pour tenir, il y a les autres, pas si loin ou toujours trop proches. Cela permet de se mesurer, de se surpasser. Mais cela impose aussi une pression supplémentaire, pour ne pas se faire reprendre. L’impitoyable loi de la compétition, qui les anime tous, et démultiplie leur force. Toute la semaine, Alan Roura a grappillé les milles sur Jean Le Cam, revenant bord à bord avec Isabelle Joschke, tentant de garder en revanche dans son tableau arrière l’Italien Giancarlo Pedote. C’est pour ça qu’il est là, pour cette satisfaction indescriptible de réussir à faire un tout petit peu mieux, un tout petit peu plus vite, un tout petit peu plus longtemps. Là aussi, la joie est une affaire de petits pas qui forment un long chemin, et non un sprint gagné à la va-vite !

La vraie victoire d’Alan Roura cette semaine, c’est d’avoir à nouveau, malgré ces conditions musclées, réussi à préserver son compagnon de route. Surveiller, inspecter, soigner : le navigateur est à l’affût de tous les indices sur la santé de son IMOCA, les cinq sens en éveil. « Je veux vérifier que tout est nickel pour la suite du programme. C’est mon côté suisse ! », s’amuse-t-il alors qu’il s’agace d’un nouveau “couinement” apparu dans son système de safrans. « Je ne m’ennuie pas bord ! J’aimerais bien pouvoir juste sortir un peu et prendre l’air, admirer le paysage sans avoir à ramper, accroché, pour réussir à rejoindre le cockpit ou à passer du cockpit au poste de veille ! », reconnaît ce « Roura perdu dans l’Indien ».

Mais tout de même, la satisfaction est là, « j’ai un bateau en bon état ». Certes, dans l’immédiat, la mer est tellement forte qu’il n’y a pas moyen de l’exploiter. « Le plaisir pur, je ne l’ai plus. Depuis deux à trois jours. Il n’y a pas de répit et c’est très ingrat ! », résume Alan. Mais si les meilleures choses ont une fin, c’est que les pires aussi. Et c’est vers le Pacifique désormais que se tournent les espoirs du jeune Suisse, qui entend bien récolter tout ce travail de patience et d’endurance. Après le dos rond, enfin, retrouver la tête haute, et les longues glissades dans la belle houle du Sud.  

Photo © Jean-Louis Carli / Aléa



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