Il y a un indice qui permet de savoir qu’Alan Roura commence à avoir passé du temps en mer… la barbe bien sûr ! Et si celle-ci commence à être drôlement fournie, elle risque aussi d’être de plus en plus blanchie si la course continue à ce rythme inouï… Car le marin suisse, pour sa onzième semaine de course, a été encore largement servi en péripéties sur ce troisième Vendée Globe déjà d’anthologie !
« Les deux pires journées que j’ai passées en mer de toute ma vie ». Quand Alan Roura - 31 ans seulement mais quasiment autant à naviguer les océans - écrit cela, on se doute que le moment n’est franchement pas des plus sympas ! Mais pas le choix, après avoir concédé un peu trop de terrain aux partisans de l’option Ouest, le skipper de Hublot avait à cœur de se rattraper, et d’attaquer l’Atlantique Nord pied au plancher !
Pour ses derniers jours dans l’autre hémisphère, le natif d’Onex a pu enfin tirer parti de son petit décalage dans l’Est, au large du Brésil. Alors que ses concurrents directs étaient ralentis par un Pot-au-Noir exceptionnellement Sud et épais en cette période de l’année, le skipper a profité de son angle au vent favorable pour avaler du mille, et combler son immense appétit de revanche. Avant de lui-même se faire manger par la fameuse zone de convergence intertropicale, et son lot d’incertitudes… et d’insomnies !
« C’est toujours quand tu te dis « Vas-y pousse à fond toute la journée, tu feras une sieste ce soir, ça va le faire !!! », que non ! Non Alan, tu le savais pourtant que tu t’approchais du Pot-au-Noir, non ? Oui, mais je voulais tellement tirer dans le bateau que j’ai tiré fort pendant la nuit aussi… Et je n’ai pas réussi à me reposer plus d’une heure en cumulé. Mais ça y est, j’y suis, je suis dedans ! », écrivait-il avec un mélange de satisfaction et d’appréhension.
« Veiller au grain », voilà une expression qui prend racine dans la marine et s’applique tout particulièrement à l’audacieux qui s’aventure sous ces latitudes ! Les grains, ce sont en effet ces nuages qui surgissent au milieu du calme plat, et déversent au passage tout leur fâcheux bagage : pluies, vents imprévisibles en force et en direction, voire même éclairs et tonnerre… Il faut donc rester aux écoutes, et se préparer au pire, qui ressemble bien souvent, tout simplement, à « l’apocalypse autour du bateau » !
« C’est très instable, le vent passe de 3 à 30 nœuds donc je suis constamment aux réglages pour aller vite dans mes transitions », expliquait Alan Roura en pleine épreuve, qui a pu laisser dans son sillage l’archipel de Fernando de Noronha, avant de franchir à nouveau une étape importante… le deuxième équateur de sa course !
Comment une ligne virtuelle, faite seulement de quelques chiffres sur un écran, peut-elle apporter autant de réconfort ? C’est un des nombreux mystères de cette folle aventure qu’est le Vendée Globe, mais toujours est-il que le sentiment, lui, fut bien réel... « D’habitude, l’équateur ne me procure jamais trop d’émotions, écrit Alan Roura, mais cette fois, il a une saveur différente. Je n’ai pas encore fini le Vendée Globe, mais dans ma tête, j’ai fait mon troisième tour du monde. C’est donc avec beaucoup d’émotion que j’attaque cette dernière partie de la course. Et je réalise que c’est déjà bientôt la fin… J’ai envie de profiter à fond de chaque minute. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais je ne veux avoir aucun regret ! »
Demain, voilà un mot qui ne veut plus dire grand-chose quand il n’y a plus que le présent qui compte. Gérer ce nuage, cette vague, trouver le bon réglage… la bataille est permanente pour réussir à tracer sa route, et attraper le prochain graal : les alizés ! Les voilà justement qui pointent le bout de leur nez…
Alors que son fils Marley célèbre sa première année sur le plancher des vaches en faisant des petits pas, son père, lui, ne peut plus se lever ! Changement d’ambiance à bord de Hublot, voilà le marin sanglé dans le fond de son siège, bringuebalé dans son cockpit comme un petit pois dans une boîte de conserve ! Ca tape, ça file, ça enfourne parfois… mais ça avance ! Et maintenant, il faut tenir la cadence jusqu’à la prochaine zone sans vent où déjà, s’arrêtent les concurrents de devant. Chaque mille devient crucial dans la course-poursuite, mais qu’ils se font durs avec l’épuisement et l’usure ! « Ces alizés sont intenses et poussent à bout le bateau comme le marin. La fatigue d’une course à l’élastique qui ne se casse jamais », dit le marin qui tire la langue, mais fait tout pour recoller au gang !
Et ça marche ! Voilà Alan Roura de retour au contact, à 50 milles de nouveau du tableau arrière de Giancarlo Pedote, Damien Seguin et Isabelle Joschke. « On en a tous bien bavé dans les alizés, c’était pas une mince affaire, je suis content d’en être sorti, le bateau il a pris tarif ! expliquait au matin le marin, qui atteignait la dorsale anticyclonique des Açores, marquant la « dernière ligne droite vers la maison ».
Une ligne droite, en course au large ? Chacun sait que ça n’existe pas ! Alors Alan Roura se prépare à mener son dernier combat… « On va avoir un peu d’air juste après les Açores, on va faire avec le peu de voiles qui nous restent pour le gros temps », expliquait-il, pouvant toujours compter sur quelques bobos pour pimenter le tableau. Ces derniers jours seulement, un court-circuit au niveau du radar et quelques heures courues à l’aveuglette, des panneaux solaires qui ne chargent plus assez, et un hydrogénérateur qui casse net… « Pas de doute, il est temps d’arriver à la maison ! », concluait Alan Roura. Comment et à quel rang dans le classement ? Réponse dans une semaine…
© Jean-Louis Carli / Aléa