À 31 ans, le skipper de Hublot vient de boucler son troisième Vendée Globe en 18e position, après 84 jours en mer. Un résultat sportif qui ne satisfait pas le marin suisse, mais qui est loin de refléter sa course, qu’il a vécue avec beaucoup de plaisir et surtout la satisfaction d’avoir bataillé intensément à chaque instant.
COMMENT AS-TU VÉCU CETTE TROISIÈME ARRIVÉE AUX SABLES D’OLONNE ?
Ça fait du bien de revenir avec un chenal où il y a autant de monde, il y avait plus d’ambiance qu’il y a quatre ans ! Franchement, ces cinq derniers jours de course ont été dingues, on s’est régalés, et peu importe le résultat on a tous pris du plaisir. J’ai un super bateau, j’ai une super équipe, je suis très fier, je me suis fait mon troisième Vendée Globe, et ça c’est génial ! Je suis revenu pour prendre à nouveau du plaisir, et je suis vraiment content de finir comme ça…
TON CLASSEMENT FINAL TE SATISFAIT-IL ?
Pas du tout, je ne suis pas parti pour ça. On m’aurait dit début novembre : « Est-ce que tu signes pour une 18e place, où tu te fais passer par deux bateaux à dérives droites à 15 minutes de la ligne d’arrivée », j’aurais dit non merci. Mais pour revivre le même Vendée Globe que j’ai vécu, je re-signerais tout de suite. Je crois au fond que le classement n’est pas le plus important. Je regrette de ne pas avoir pu me confronter avec certains bateaux. J’aurais bien aimé voir l’intensité du peloton de devant, mais je sais qu’on a vécu la même intensité dans le peloton de derrière. Je ne suis pas satisfait, mais à chaque Vendée Globe j’améliore mon temps de dix jours, donc dans quatre ans, il y a peut-être moyen de faire un truc… (rires)
QUE VEUX-TU VEUX GARDER DE CE TROISIÈME VENDÉE GLOBE ?
Je me suis lancé en autodidacte dans la course au large. Quand je fais mon premier Vendée en 2016, je n’ai aucune idée de ce dans quoi je me lance, et je fais un Vendée Globe extraordinaire. Quatre ans plus tard, je veux revenir pour faire mieux, et j’ai des avaries, je ne le vis pas très bien, c’est dur, et je subis mon tour du monde. Cette fois je suis revenu, je fais moins bien au classement, mais pour autant j’ai pris beaucoup de plaisir, et je suis allé plus loin dans tout. C’est beaucoup de travail rien que pour être sur le Vendée Globe, et ce que je veux retenir c’est la fierté d’en être là aujourd’hui.
AS-TU LE SENTIMENT D’AVOIR APPRIVOISÉ TON BATEAU ?
On apprivoise toujours un bateau, ce n'est jamais fini. Le mien plante beaucoup, ce n’est pas un secret. La vie à bord est très difficile, donc on se fait mal à l’intérieur, mais j’ai pris du plaisir à me faire mal. Ce bateau je l’adore, c’est l’Aston Martin des mers, il a un look dingue, il est fou. Je suis très fier de lui avoir fait faire un tour du monde. Il y a quatre ans, il s’était arrêté à Cape Town, donc j’ai fait mieux qu’Alex Thompson, et c’est déjà pas mal (rires) !
ASSEZ TÔT DANS LA COURSE, TU AS PRIS UNE OPTION À MADÈRE QUI N’A PAS ÉTÉ PAYANTE. COMMENT L’AS-TU VÉCU ?
J’ai eu une option ratée oui, j’assume complètement. On est quatre à avoir fait les choses différemment : j’étais avec Giancarlo Pedote, et il y a Conrad Colman et Jean Le Cam qui sont passés à l’Est des Açores. Tous les routages donnaient notre route payante, jusqu’au dernier fichier. Longtemps, j’aurais pris ça comme excuse, dire que c’est à cause de ça que j’ai loupé ma course, mais sur ce Vendée Globe je ne veux vraiment pas faire ça, ne pas le résumer à ça. Je me suis battu tout le temps, j’ai fait je ne sais pas combien de remontadas, je me suis donné du début à la fin. Aujourd’hui, il y a à peu près dix bateaux qui sont intouchables avec des marins d’exception. Moi, avant le départ, je me situais à peu près avec Romain Attanasio et Damien Seguin, et, au final, ils ne sont pas si loin. Quand tu t’appelles Alan Roura et que tu rates une option, on dit que tu l’as ratée. Quand tu t’appelles Jean Le Cam et que tu rates une option, on dit que tu as manqué de réussite. J’ai essayé des choses, pas toujours les bonnes, mais le plus important c’est que je ne me suis pas laissé abattre, et ça j’en suis fier.
QUELS SONT LES POINTS COMMUNS ENTRE TES TROIS VENDÉE GLOBE ?
Que je prends toujours autant de plaisir à faire ce que je fais ! On se surpasse, ça fait partie du job. Pour ce Vendée Globe, j’ai beaucoup travaillé, mais ce qui n’a pas changé c’est que je suis là au départ, et je suis à l’arrivée. Alors oui, je ne suis pas dans la performance pure et dure, mais j’ai fait la course avec plein de bateaux, et ça c’est génial. J’ai toujours envie d’aller plus vite, d’apprendre, et ce qui est bien avec le Vendée Globe c’est justement qu’on n’arrête jamais d’apprendre. À 31 ans, j’en ai fait trois. Au cap Horn, je me suis dit : « C’est mort, plus jamais, c’est trop dur ». Aux Açores, je me suis retrouvé avec Benjamin et Tanguy, et je me suis dit : « Mais c’est génial, j’adore, à dans quatre ans ! » Chaque Vendée Globe est un souvenir particulier, et chaque Vendée Globe représente une partie de ma vie. Ça ne s’explique pas, on vit pour cette course.
AS-TU SUIVI LES COURSES DES AUTRES SKIPPERS ?
Oui, je regarde tout le monde, parce qu’il y a du match partout et surtout des histoires dingues partout. C’est hyper intéressant à regarder, voir les stratégies, mais même bien avant ça, de regarder déjà comment les projets se montent. Parce rien qu’être au départ, ce n’est vraiment pas rien. Et tous les finishers du Vendée Globe ont du mérite, car finir un tour du monde en solitaire, ce n’est pas anodin. Il y a des bateaux et des marins qui vont arriver fatigués, avec plein de choses à raconter. Tu prends un Guirec Soudée qui est allé dans toutes les tempêtes, le mec est malade, j’adore... C’est vraiment ça que j’aime sur le Vendée Globe, ce sont toutes ces histoires…
COMMENT ENVISAGES-TU LES PROCHAINES SEMAINES ?
Je vais prendre le relais d’un autre Vendée Globe qui s’est passé à terre, celui de ma femme, qui a beaucoup plus de mérite que moi, parce que moi j’ai fait du bateau, et elle, elle a fait tout le reste. Et je vais faire un peu de vélo, parce que je n’ai plus de jambes ! (rires)
Photo © Vincent Curutchet / Aléa / Vendée GlobeSource : Vendée Globe