Ce matin, en regardant la carte, j’ai vu un nombre : 300 milles. Je sais que ce seront les 300 milles les plus longs que je vais vivre, mais ne dit-on pas que quand c’est long, c’est bon ? Et ça y est, je me fais déjà bien secouer, j’ai 35 noeuds et ça va monter encore, probablement avec des rafales à 60 en approche du caillou. Histoire de vraiment le mériter ce cap Horn !
Donc prudence avant tout. De toute façon, je ne peux pas forcer sur le bateau, j’ai mon safran qui me parle derrière et me dit « Grouaack ! » Une sorte de langue de crapaud que je comprends très bien, qui veut dire : « Mec, si tu tires plus, je ne vais pas finir le tour alors attends d’en finir avec le portant pour pouvoir ré-accélérer stp ! » Blague à part, là ça fait vraiment du bruit. C’est flippant, mais ça va tenir ! J’ai confiance, et comme je disais, je ne vais de toute façon pas jouer avec le feu dans cette mer forte.
À bord ça roule, j’ai enfin réussi à me reposer. Comme quoi, il faut attendre d’avoir du gros temps pour pouvoir fermer les yeux. C’est souvent plus reposant car on a de plus petites voiles. À bord, ça gèle aussi ! Hier, j’ai affalé ma voile d’avant et tout préparé sur le pont pour les conditions musclées que j’allais rencontrées, j’avais les doigts gelés et j’ai mis un temps fou avant de retrouver mes orteils aussi. Et pourtant, on a un vent qui vient du nord, donc « du chaud » ! Moi je veux bien du froid mais avec de la neige, un caquelon à fondue, petite topette de blanc du Valais et feu de cheminée. Mais là, sans chauffage, dans une caisse en carbone à 300% d’humidité… Non ! Heureusement que je peux utiliser le réchaud pour me réchauffer en me faisant mon café.
La question qui demeure maintenant est : après 55 jours et quelques de mer, vais-je voir le caillou ? On lance les paris ? Les routes me le font raser donc ça, c’est déjà pas mal, mais ce sera de jour, ou de nuit ? Dans la brume, sous les nuages, ou par grand soleil ? J’ai tellement hâte… J’ai trouvé ce qui définie le cap Horn : c’est le début de la fin du Vendée Globe. Tu sais que tu tournes à gauche et que derrière, tu vas remonter vers la maison. Alors la remontée ne sera pas forcément rapide, mais chaque jour te rapproche clairement de la ligne d’arrivée.
Photo © Jean-Louis Carli / Aléa