03:48 TU à bord de La Fabrique. Le vent est assez faible, les voiles de notre belle unité de large sont gonflées et portent le bateau route plein Sud. Nous voilà sur le bord qui nous rapproche de Salvador. Madère et sa zone de molle derrière, les Canaries à gauche, le Cap Vert à 900 miles devant l'étrave.
Pourquoi écrire un mot du bord à une heure pareil alors que je pourrais être en pleine sieste ou alors au réglage ? Parce qu’on m'a toujours dit de ne jamais oublier d’où je viens et cette nuit, je me souviens d’une autre nuit, il y a 18 ans maintenant. Une nuit qui ressemble beaucoup à celle-ci (sauf la vitesse du bateau), ma soeur Julie à la barre de notre maison à voiles qui commençait son grand voyage. La belle "Ludmilla" voguait sur l’Atlantique. Une ligne de 3 étoiles avait alors attiré le regard de ma soeur et sont devenues ce qui l'aidait à barrer, celles qui la guidaient sur l'eau. Ce n'est pas un hasard je sais... Ces étoiles sont toujours là. Un petit Gypsy King en musique de fond et j'aurais l'impression de me retrouver des années en arrière. J'ai donc une grosse pensée ce soir pour ma famille et particulièrement pour ma soeur.
Je me souviens de ces moments comme si c'était hier. Je suis là où j'ai toujours rêvé d'être (je ne parle pas du classement -Ahaha…) : dans la course au large. Depuis cette fameuse année 2001, je n'ai jamais cessé d'y croire donc merci à ma famille de m'avoir toujours soutenu, même si ce n'était pas gagné d'avance. Je me demande parfois quelle vie j'aurais eu sans ce voyage familial ? Peut-être que je n'aurais jamais entendu parler de ces courses, peut-être que j'aurais fini dans un bureau ? Aucune idée. Ce que je sais, c'est que ma place est ici.
Pause dans les souvenirs, il faut quand même que je parle de la course un minimum dans mon message du jour ! Empannage, surpattage, matossage, angle de quille, hale-bas, rot de mât, etc. Du chinois pour certains et c'est justement pour ça que l'on partage nos aventures : pour faire rêver, pour écrire une histoire et ne pas parler que de « Oui alors tout va bien à bord de La Fabrique, cap au 180° SO, 13,5kts ». Non, il faut partager nos émotions, se laisser porter par la magie de l'océan.
Le grand Seb vient d’arriver dans le cockpit, le regard encore éteint (il sort de la sieste). Je pense qu'il rêve d'un sixième café, mais dans ses yeux, ce que je vois d’abord, c’est un homme heureux d'être en mer. On y trouve aussi des histoires, qu’on n’aurait pas le temps de raconter sur une transat, il faudrait une vie. Le visage incrusté de sel, des mains qui on vu des milliers de kilomètres de cordage. Aujourd'hui j'ai la chance de partager une telle aventure avec un marin hors norme, c'est génial.
Tout ça pour dire que je viens de loin et qu'aujourd'hui, je suis là où je devais être.
Alan
Image d'illustration © Christophe Breschi / La Fabrique