C’est sûrement l’air du large qui me donne envie d’écrire. À une époque pas si lointaine, j’avais un calepin, un stylo, et j’étais dans un IMOCA de 2000 où je pouvais écrire dans le fin fond de ma cellule de vie. J’avais 23 ans et aucune prétention, je voulais juste réaliser mon rêve : faire le Vendée Globe, le fameux tour du monde à la voile en solitaire.
Aujourd’hui, je peux à peine tenir assis tellement nos bateaux sont devenus des machines de guerre. Mais, malgré le casque anti bruit, je n’ai pas oublié le plaisir de sentir l’eau glisser sous la coque. En fond, j’écoute de la musique pour me rappeler certaines phases de ma vie. Au moment où j’écris ce message, c’est Jacques Brel qui chante, qui me rappelle qu’un autre de mes rêve était d’aller sur sa tombe aux Marquises. Un rêve que j’ai aussi eu la chance de réaliser dans ma jeunesse. Mais dans la vie, il ne faut pas rester sur ses acquis mais toujours voir plus loin.
Alors après deux Vendée Globe terminés, j’ai voulu y retourner. Me prouver à moi-même que j’étais capable de réaliser encore une fois l’exploit, car c’en est un. Mais d’une manière différente, avec un bateau performant, à apprendre à utiliser et à devenir celui que j’ai toujours été au fond de moi, mais sans l’école pour apprendre, en autodidacte total.
Je me suis entouré, j’ai travaillé, j’ai pris confiance en moi. J’ai pris des bâches… Oh ça, j’en ai pris ces dernières années ! Je n’arrivais plus à naviguer pour moi, je pensais sans cesses aux autres, aux regards des gens. Je me suis renfermé sur moi même. J’avais peur de décevoir. Et ça n’a donné que le contraire de ce que je voulais obtenir.
Aujourd’hui, cette course de The Transat n’est pas qu’une simple course à mes yeux. Elle se mérite autant qu’un Vendée Globe, il n’y a qu’à voir le nombre d’abandons après 6 jours de course. Cette fois, je suis parti sans me mettre de pression, je voulais naviguer pour moi, me faire confiance, kiffer et remercier ceux qui m'ont épaulé pour y arriver.
Quand vous reprenez la barre d’un bateau qui n’est pas le vôtre, il faut avoir de l’imagination, essayer des choses, et sortir la tronçonneuse, parfois. Ça veut dire remettre en question l’ancien skipper, qui dans mon cas est une légende de la course au large. Et des fois tu te dis : « Mais, t’es qui toi, Alan, pour modifier ce bateau ? » Mais au final, je ne suis qu’un marin qui sait ce qu’il veut et qui refuse de se contenter de la facilité.
Ce soir je suis 11e de la course, rien que d’en parler ça me met la larme à l’œil. En regardant ceux qui sont devant, j’aurais tout de suite signé pour ça au départ. La course est loin d’être finie, tout peut encore arriver. Mais au fond de moi, peu importe le résultat, je sais que j’ai gravi un échelon, en tant qu’homme et en tant que marin. Je me suis prouvé que j’étais là. Que j’avais ma place, que j’ai encore du travail et que je ne lâcherai rien jusqu’au Vendée Globe.
On se souvient de la vidéo « Alex is Back » : aujourd’hui, c’est « Alan is here ! »
Photo © Jean-Louis Carli / Aléa