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Semaine 9 : « J’ai trouvé d’autres choses »

2 jours

L’ascenseur émotionnel nous a encore laissé un drôle de sentiment alors que, progressivement, Alan Roura laissait derrière lui les quarantièmes rugissants ! Car cette semaine, qui marquait les deux mois en mer pour notre solitaire, fut un mélange détonnant, à la fois réjouissant et frustrant. Un parfait condensé des intenses émotions procurées par ce sport si particulier, et que le marin suisse nous partage avec tant de générosité, et surtout de pugnacité.

Quand on fait de la course au large, c’est une métaphore qu’on aime à employer : celle de l’élastique. Imaginez un tout petit bout de caoutchouc qu’on vient tendre progressivement entre deux concurrents, au point que l’écart semble immense et définitif. Mais tant que ce petit lien n’est pas complètement cassé, que les concurrents ne sont pas sortis du même système météo, alors il y a une chance que la dynamique s’inverse. On relâche la tension devant, et voilà que l’élastique à nouveau reprend ses proportions microscopiques, donnant à la cartographie un petit air d’accordéon désaccordé…

Ce phénomène, favorisé par une météo complice, s’est d’abord fait cette semaine au bénéfice d’Alan Roura, lancé à pleine vitesse après son pari de défier le cap Horn malgré le gros temps. Propulsé au large des Malouines dans un vent de travers, voilà le marin qui revient fort sur ses concurrents de devant, arrêtés dans une dorsale anticyclonique qui leur barre la route. Au fil des pointages, la distance entre eux s’amenuise. Alors qu’il avait accusé jusqu’à 1 200 milles de retard sur Romain Attanasio, voilà en quelques jours le skipper de Hublot qui progresse sur ce qu’il décrit comme « un tapis roulant » et lui reprend la quinzième place au classement. Un sacré accomplissement !

Mais l’élastique ne s’est pas arrêté là… la zone sans vent qui a arrêté ses concurrents a figé à son tour l’IMOCA Hublot, et permis à ses poursuivants de saisir le même ascenseur ! Voilà comment, en quelques jours, Alan Roura s’est retrouvé avec sept voisins de palier, tous à chercher la même porte de sortie pour continuer leur ascension de l’Atlantique Sud… Un nouveau départ ou presque, qui oblige à prendre chaque décision avec lucidité, mais sans rien regretter.

Après deux mois en mer et dans cette situation si particulière, Alan Roura nous livre son état d’esprit, sa stratégie et sa manière d’aborder ses dernières semaines de course.

- ⁠Alan, tu viens de vivre une semaine hyper intense, entre joie de recoller à ceux de devant et frustration de voir revenir ceux de derrière : comment vas-tu ?

« Comme un gars qui a passé deux mois tout seul sur un bateau ! Les chaleurs commencent à se faire ressentir, donc ça fait du bien ! La semaine a effectivement été dingue, ça décrit très bien la course au large… Tu peux te battre pendant des semaines et des mois à grappiller des pouillèmes, et en fait tout dépend de la nature : si elle a décidé de te mettre un barrage devant, tu dois faire avec ! C’est hyper frustrant parce que tu as l’impression de ne jamais vraiment être dans le coup : dès que tu t’échappes, tu te sens pousser des ailes, et en même temps, on te met tout le temps des bâtons dans les roues. Donc c’est toujours cet espèce d’effet contradictoire, c’est hyper dur mentalement mais je m’en sors bien. »

- ⁠Comment garde-t-on le moral dans ces conditions ?

« Je crois que sur ce point, je suis devenu assez solide. Je relativise, la course est encore longue, il peut toujours se passer pas mal de choses. Ce qui me pénalise mentalement, c’est que j’avais misé sur cette partie-là de la remontée de l’Atlantique, parce que les alizés derrière vont être plus adaptés aux autres types de foils que les miens, plus typés reaching, donc je sais que je serai un peu plus en difficulté. Mais je vais faire avec et me battre deux fois plus, c’est mon état d’esprit et ça le restera ! »

- Stratégiquement, comment vois-tu la suite ?

« Je suis en train de jouer sur le Nord-Ouest d’une dépression pour essayer de sortir de la zone merdique dans laquelle on est coincés actuellement, le front semi-actif de Cabo Frio, et il y a peut-être une porte qui s’ouvre dans l’Est, donc je la prends avec Jean Le Cam et Damien Seguin. Ça fait plusieurs jours qu’elle s’affiche sur mes fichiers et je n’osais pas forcément la prendre hier matin encore, mais le fait que Damien et Jean y aillent aussi ont changé la donne. Tout seul, je n’y serais pas allé, mais ça me rassure d’être à trois. Les conditions vont évoluer avec peu de vent à partir de ce soir, jusqu’à atteindre du vent fort au près ensuite. Il y aura sûrement des rafales et des orages, ce ne sera pas très drôle. Mais il faut le tenter, et ne pas avoir de regrets. »

- ⁠Sportivement, trouves-tu ce que tu es venu chercher ?

« Je ne suis pas venu pour cette place-là mais par contre, je suis venu pour la bagarre, et ça je l’ai, je suis même en plein dedans ! Je n’étais pas venu exactement pour ce scénario mais j’ai trouvé d’autres choses. Et je me bats, je me battrai jusqu’au bout, je suis content des bateaux aux côtés de qui je navigue aujourd’hui : certains sont plus performants, avec des marins plus expérimentés, il y a de tout. Au final, on a tous raté le train il y a longtemps maintenant et on ne l’a jamais récupéré, alors on se bat avec nos armes et il y a une jolie bourre entre nous ! »

- Psychologiquement, comment vit-on de voir les premiers arriver, alors que Charlie Dalin est attendu demain matin aux Sables d’Olonne ?

« C’est dur parce que nous, on n’est pas encore à l’équateur et ça pique forcément un peu ! Mais on n’a pas les mêmes bateaux, on n’a pas les mêmes projets, et on n’est pas les mêmes marins. Ils ont fait une course sans faute, et ils ont eu la réussite aussi qui leur a permis de ne jamais être inquiétés, un immense bravo à eux. On a tous notre course à notre échelle. Ce qu’il faut comprendre, c’est que derrière il y a tout autant d’intensité, avec cette charge mentale en plus de se dire qu’on aurait dû faire mieux. Donc ce n’est pas touours facile ! »

- ⁠Comment va ton bateau et comment le sens-tu pour cette remontée de l’Atlantique ?

« Le bateau va bien, j’ai fait des petites réparations sur les voiles mais structurellement il ne bouge pas. J’ai mon histoire de safrans qui grincent et qui me fait un peu peur par contre. Des Açores à la maison, ça risque d’être compliqué, mais il va falloir y croire, de toute façon je ne peux rien faire car il faudrait tout démonter, c’est un gros dossier et je n’ai pas de quoi réparer. C’est le seul point noir, mon épée de Damoclès au-dessus de la tête ! »

 

- ⁠Qu’est-ce qui te rend particulièrement fier aujourd’hui ?

« Je suis là, je suis toujours là ! Je me bats avec des marins qui ont le mérite d’être là aussi, et je suis fier de mon parcours. C’est dur de mettre des mots là-dessus, mais je fais quand même mon troisième Vendée Globe, ce n’est pas rien, ce n’est pas si facile d’être là où je suis, et je vais me battre jusqu’au bout pour ça. Je ne sais pas si ce sera mon dernier Vendée Globe, mais au fond de moi je donne tout comme si c’était le cas, parce que c’est tellement difficile ces projets-là que j’ai juste envie de faire ça bien jusqu’au bout ! Et je kiffe toujours ce que je fais, et ça c’est une fierté ! »

- ⁠Est-ce qu’il y a quelque chose qui te manque particulièrement de la terre ?

« Clairement, ma femme et mes enfants ! Quand je vois mon petit dernier grandir de jour en jour sur les photos, c’est toujours impressionnant à cet âge-là. Ce qu’on fait, ce sont des choix, mais ce sont aussi pas mal de sacrifices sur la vie perso, et quand je fais le calcul du nombre d’années passées en mer, ça fait beaucoup de temps que je ne passe pas avec mes proches ! J’ai envie qu’ils soient fiers de moi à l’arrivée, j’espère les retrouver très vite en bouclant la boucle. »

 

 © Jean-Louis Carli / Aléa



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