Un cycle jusqu’au Vendée Globe est toujours ponctué de moments qui comptent, de déclics et de coups d’accélérateur. C’est ce qu’a vécu le team Hublot en début d’année 2024. À l’ombre du chantier d’abord puis sur la périlleuse Atlantique Nord, le bateau a pris une nouvelle dimension. Retour en arrière.
Alan a souvent le sens de la formule. Et l’hiver dernier, après une saison particulièrement éprouvante pour le bateau et les organismes – avec la Rolex Fastnet Race, la Transat Jacques Vabre et le Retour à la Base -, place à ce qu’il a appelé « le méga chantier ». Au cœur de ce travail de l’ombre, l’IMOCA a été doté d’une nouvelle étrave. Objectif ? « On souhaitait pouvoir enfourner moins dans les vagues et être en capacité de redémarrer plus vite ». Cela contribue en effet à ce que les phases de décélération soient moins importantes et donc à ce que les vitesses soient bien plus élevées.
Dans le même temps, de nouveaux ballasts ont été installés par l’équipe technique, ce qui participe à améliorer la puissance. « Le bateau est plus polyvalent, poursuit Alan. Désormais, je peux garder plus de toile et accélérer plus fort ». Si le travail de toute l’équipe a été remarquable durant ce chantier, c’est à l’image de ce qu’elle réalise depuis qu’elle a en possession l’ex-bateau d’Alex Thomson en 2022. Alan Roura abonde : « nous avons gagné entre 10 et 15% dans toutes les allures ». Ce chantier d’hiver a également permis de réaliser un travail sur l’ergonomie, sur le poids du bateau et sur certains aménagements concernant la vie à bord. En somme, c’est un nouveau chapitre qui s’est ouvert une fois que le bateau a été remis à l’eau mi-avril. Mais le temps pressait car une semaine seulement après la mise à l’eau, après moins de 24h, place déjà à la course avec The Transat CIC. C’est la lointaine héritière de la première transatlantique de l’histoire et c’est aussi l’une des seules, chez les IMOCA à avoir l’Atlantique Nord pour terrain de jeu avec un parcours périlleux dans des conditions difficiles.
Avec toutes les optimisations réalisées pendant l’hiver, la course a un petit goût d’inconnu pour le skipper suisse. Mais pas question de gamberger. « L’équipe m’avait dit que je pouvais tirer dessus, qu’on pouvait avoir confiance. Du coup, je suis parti en étant très serein », confie Alan. Et ça se voit. Il intègre le groupe de tête dès le départ, réalise un bord au reaching impressionnant (« le bateau était en vol quasi constant, c’était incroyable »), et résiste à la succession de dépressions puis à une zone sans vent pour terminer. Certes, le marin n’a pas été épargné par les pépins techniques. Il a en effet dû faire face à un choc sur son foil bâbord, fortement délaminée. Qu’importe, Alan tient bon, résiste et s’accroche. Il franchit la ligne d’arrivée trois jours plus tard sous un coucher de soleil, aux portes du Top 10 (13e).
Plus que le résultat comptable et la joie de rallier New-York, c’est le ressenti du bord qui réjouit. « J’ai vite senti qu’on avait un peu plus de puissance, que les sensations étaient très bonnes, apprécie Alan. Les ballasts donnent toute satisfaction – « je les ai utilisés les trois-quarts de la course » - et les autres changements « ont eux aussi porté leurs fruits ». Surtout, le bateau lui a permis d’exprimer tout son savoir-faire. Il s’en amuse : « Je ne suis pas le plus grand régatier mais quand le vent est fort et la mer difficile, il faut savoir réagir en bon marin ».
En somme, plus le niveau de difficulté est élevé, plus il faut faire appel à une forte capacité de résistance, plus Alan répond présent. Mieux, cela lui permet de « prendre beaucoup de plaisir ». De quoi faire le plein de confiance avant le Vendée Globe : « Je suis plus rassuré. Le Vendée Globe, ce sont les mêmes enjeux mais lors d’une course beaucoup plus longue. Et là, je sais que je pourrai tirer sur le bateau et qu’il peut tenir jusqu’au bout ».
Fin 2021, Alan Roura annonçait le rachat de l'ex-IMOCA d'Alex Thomson grâce à l'engagement de ses nouveaux partenaires Hublot, la banque Bonhôte et le groupe Solano. Une annonce qui avait alors fait l'effet d'une bombe dans le paysage médiatique de la course au large, fruit d'un long travail de la part du navigateur et de son équipe. Trois ans plus tard, le Suisse est sur le point de prendre le départ de son 3e Vendée Globe consécutif, objectif final de plusieurs années de préparation. Retour sur les dates clés de trois années folles, qui ont tout changé.
Pour Alan Roura, un partenariat avec une grande maison horlogère suisse et des navigations à bord d’un bateau de dernière génération ne sont plus de l’ordre du rêve. « Cela faisait longtemps que je passais devant le siège de Hublot en me disant ‘un jour peut-être, on fera équipe ensemble’ », confie le marin. Entre l’habitué des océans et le manufacturier, les points communs sont multiples : l’audace, le sens du collectif, le dépassement de soi... Leur accord, concomitant au soutien d’un investisseur, permet à Alan d’accélérer le rachat du bateau qu’il envie depuis l'arrivée du dernier Vendée Globe et une première visite, incognito, en Bretagne : la dernière monture d’Alex Thomson. Le lendemain, il s'envole pour Cascais au Portugal, afin de prendre part à un convoyage aux côtés du Britannique et de son équipage alors en opérations de relations publiques, direction Malaga. Quelques semaines plus tard, au moment de l'officialisation du rachat, Alan rejoint Toulon où la vente est finalisée après un contrôle général sur le gréement, la coque et le mât.
Dans la foulée, le Suisse, son fidèle acolyte Alexis Monier, Alex Thomson et son boat captain Ollie Heer, embarquent pour ramener le bateau à Lorient, son nouveau port d'attache. Les conditions sont délicates mais l’apprentissage n’en est que plus rapide. « Alex me guidait et chaque réaction de l’IMOCA, chaque sensation, me confortait dans le choix d’en faire ‘mon’ bateau », se souvient Alan. Le Britannique, lui, souligne la capacité du Suisse à « apprendre tout très rapidement » et reconnaît là un « talent brut », non sans lui rappeler ses propres premières années.
Durant les semaines qui suivent, Alan multiplie les navigations. Avec son équipe, il tente, teste, essaie pour s’adapter à sa nouvelle machine. « Il fallait se mettre dans la tête d’Alex Thomson pour comprendre comment l’utiliser, comment l’optimiser, comment en tirer le meilleur. » Plusieurs marins de renom, dont Sébastien Josse, l’accompagnent parfois afin de l’aider dans cette démarche. « Progressivement, on a commencé à faire nos propres choix, trouver une voile plus légère, les bons angles, le bon poids ».
Pour la première fois, Hublot est présent sur la ligne de départ d’une course IMOCA. La Guyader Bermudes 1 000 Race fait office de rentrée des classes pour les marins au large de la Bretagne. Pour Alan, les six jours de course sont délicats (15e) mais permettent un état des lieux complet de ce qu’il reste à accomplir. « Cette expérience a servi à identifier les points à travailler,, pour revenir plus fort. »
Il le démontre un mois plus tard lors de la Vendée Arctique Les Sables, première course qualificative pour le prochain Vendée Globe. La course de 3 500 milles (5 630 km) est finalement réduite en raison de mauvaises conditions météo. Mais l’essentiel est ailleurs. Alan est « dans le match » : « J’ai navigué en regardant moins le mode d’emploi, en allant au bout de mes options, en cherchant le bon compromis ». Alan achève la course au 7e rang, impressionne par sa vitesse, sa trajectoire et surtout « commence à être fusionnel avec (son) bateau ».
Contrairement à nombre de ses concurrents, le bateau n’a pas eu de phase de chantier durant l'été. « Il est déjà extrêmement fiabilisé et nous n’avons eu aucun souci technique depuis que nous l’avons acquis, » souligne le skipper. L’occasion de poursuivre les navigations et de changer progressivement d’approche. « Avec l’équipe, il fallait du temps afin que l’on s’approprie totalement le bateau, qu’il ne soit plus celui d’Alex mais le nôtre. C’est une étape particulièrement importante pour la suite du projet ».
La rentrée est difficile pour Alan, qui a désormais pleine consciences des points faibles de son bateau. Face à des concurrents rodés et menant de mains de maîtres des unités plus polyvalentes, Alan continue de faire les frais de voiles typées vent arrière, en fin de vie, sur des parcours atlantiques où la moitié se courre au près. Parmi les plus performants sur les bords de portant, Alan axe donc la suite de son apprentissage sur les allures moins favorables à sa monture et ne peut que se satisfaire de voire payer son travail. En octobre, nouvelles voiles à poste, les derniers entraînements s'enchaînent et le constat est sans appel : cet IMOCA Hublot en a définitivement « sous la pédale », peu importent les axes du vent. De quoi tisser un lien fort avec ce bateau et de se montrer plus ambitieux que jamais.
Avec la Route du Rhum, Alan disputait sa première transatlantique à bord de Hublot. Frustré d’un résultat modeste (21e), le skipper a néanmoins acquis une expérience précieuse et identifié de premiers points faibles (anticipation des choix météos, navigation au portant), assurant « se prendre au jeu à chercher constamment comment aller plus vite » et aspirant à « ce que le travail se reflète dans les résultats ». À noter par ailleurs qu’Alan a assuré sa première phase de qualification au Vendée Globe.
Après le convoyage du bateau assuré par Alan en « faux solo », accompagné de son Boat captain, Alexis Monier, débute une phase de chantier, nécessaire après avoir cumulé tant de milles. Une « grosse révision » a lieu et quelques menues optimisations sont réalisées, notamment au niveau du gréement, des foils et de l’ergonomie à bord. « Nous avons essayé de comprendre un bateau qui a été conçu par et pour un autre marin, , explique Alan. Là, on va pouvoir mettre en œuvre un mode d’emploi qui sera le nôtre. »
Direction le Sud de l’Europe pour une session d’entraînements de quatre semaines en se confrontant aux alizés portugais. Aux côtés d’Alan et de Simon Koster, nouveau co-skipper de l’équipe, Alex Thomson, Sébastien Josse et le coach Tanguy Leglatin se sont notamment succédés à bord et ont pu travailler sur le comportement de Hublot dans le vent fort au large. Des données précieuses pour la suite du projet.
Première course de la saison, première pour le duo Roura-Koster, avec la Guyader Bermudes 1000 Race et plus de 1 300 milles (2 400 km) dans l’Atlantique. 5e des runs de vitesse, 8e de la course, le binôme évoque « une très belle course et beaucoup de manœuvres », qui leur aura permis de valider les acquis de leurs semaines d’entraînement et une capacité certaine à « donner le maximum et faire de jolis bords » au fil d’un sprint haletant.
L’été aura été studieux. Fin juillet, Alan et Simon ont disputé la Rolex Fastnet Race, une course mythique entre Cowes (Angleterre), l’île du Fastnet et Cherbourg. Dans des conditions délicates et face à une adversité relevée, les deux hommes ont poursuivi leur apprentissage. Ils ont ensuite multiplié les entraînements avec Tanguy Leglatin et les navigations avec invités et partenaires. À l’issue d’une nouvelle course (le Défi Azimut), le duo a continué son travail approfondi afin d’être en ordre de bataille pour la fin de saison.
La Transat Jacques-Vabre, course la plus emblématique de cette saison 2023 est l’occasion de démontrer la cohésion entre Alan et Simon Koster. Les deux hommes se connaissent depuis plus de dix ans et leurs aventures en Mini. « Alan a un feeling à part avec les bateaux, un don pour les ressentir, pour trouver le bon équilibre au large », apprécie Simon, désireux de « tout faire pour l’aider à monter en puissance ». Malgré une sacrée course d’équipe et une belle cohésion à bord, les deux hommes ne cachent pas leur frustration à l’arrivée (19e), la faute à une option Sud qui ne s’est pas avérée payante. « Ça reste une belle course avec des bords incroyables », assure Alan. « Il va falloir qu’on remette ça un jour », poursuit Simon.
Au cœur de l’hiver, Alan termine 15e de Retour à la Base, son meilleur résultat depuis près de deux ans à l’issue d’une des courses les plus engagées du calendrier. Conditions dantesques, problème de pilote automatique, petit gennaker déchiré… « C’est un bon apprentissage pour connaître l’usure du marin et du bateau », s’amuse Alan, soulagé à l’arrivée.
L’hiver, le chantier aura été le plus conséquent depuis que l’équipe dispose de ce bateau. Nouvelle étrave pour moins enfourner dans les vagues, nouveaux ballasts, travail sur l’ergonomie et la zone de vie… Le bateau gagne en puissance et en polyvalence. En course, ça se voit : lors de The Transat CIC (Lorient > New York), Alan bataille aux avant-postes de la course, résiste à des conditions difficiles et termine à une prometteuse 13e place.
Un chantier de deux mois a mobilisé l’équipe durant l’été. Au programme : la réparation du foil endommagé lors de The Transat mais aussi la poursuite de tout le travail d’optimisation et de fiabilisation de l’IMOCA. À l’issue de cette phase intense, Hublot a décroché son certificat de jauge, nécessaire afin de participer au Vendée Globe. Techniquement, tous les voyants sont donc au vert avant le rendez-vous le plus attendu de ces quatre dernières années !
Photos © Jean-Louis Carli / Aléa - Vincent Curutchet - Studio Marlea