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Vendée Globe, semaine 7 : Retenir son souffle

30.12.2024


Est-ce un curieux tour joué par sa mémoire, ou simplement le symptôme classique de « l’ardoise magique » qu’expérimente Alan Roura ? Mais si, vous savez, cette tablette où l’on peut dessiner ses plus beaux gribouillis, et d’un petit geste sec, tout effacer et rendre la surface immaculée… C’est un peu la même chose sur le Vendée Globe, où les solitaires passent leur temps en apnée à se dire : « après ça, ce sera moins pire »… jusqu’au moment où ils franchissent la ligne d’arrivée et s’exclament soudain « je veux y retourner » ! En tous cas, cela a beau être son troisième Vendée, Alan n’a pas arrêté de se dire cette semaine qu’il ne se souvenait pas d’une telle intensité !

À bien y réfléchir, leur aventure autour du monde a des airs d’une baignade dans une houle chahutée. À chaque nouvelle vague, il faut retenir son souffle, plonger, laisser la secousse passer, remonter vers la surface, reprendre sa respiration… et tout recommencer pour échapper à la vague d’après !

Alors qu’on le quittait la semaine passée juste avant Noël et l’antiméridien, cette ligne magique qui fait reculer ceux qui le franchissent d’une journée, on retrouve le skipper de Hublot certes bien gâté en termes de cadeaux, mais toujours pas en météo à l’approche du point Némo. Lui qui se trouve désormais plus près de la Station spatiale internationale que de toute autre habitation terrestre n’a en effet le loisir d’observer le ciel, dans sa petite boîte de carbone où il est bringuebalé au gré des éléments.

Nouvelles tuiles

Certes, ses problèmes de moteur sont globalement derrière lui, même s’il reste la contrariété de devoir charger ses batteries bien plus longuement désormais. Ce qui n’est pas anodin dans cet océan hostile, ou le soleil est aux abonnés absents, et où la moindre source d’énergie est si précieuse pour faire tourner tous les instruments du bord ! « L’une des trois diodes est morte, et la génératrice ne peut plus charger les batteries comme avant. C’était une heure de groupe pour charger les batteries à 100%, maintenant, c’est 15 heures de charge », expliquait le marin, forcément un peu inquiet.

Surtout que depuis, le Grand Sud a de nouveau frappé. Son hook de capelage, ce petit crochet qui permet de tenir les voiles en haut du mât, s’est subitement brisé dans une rafale, entraînant la perte de la voile d’avant qu’il accrochait… Le gigantesque triangle de tissu est donc tombé à l’eau, puis s’est enroulé autour du foil, obligeant le marin suisse à une périlleuse opération pour libérer son appendice en carbone du piège qui s’était refermé sur lui. Le tout, bien sûr, de nuit et sous une pluie battante, avec le sifflement du vent pour seul compagnon.

Un nouveau lot d’émotions fortes et douloureuses, qu’il faut vite évacuer pour rester lucide et alerte. « Parce que c’est le Vendée, parce que même si tu as tout préparé aux petits oignons, il peut toujours se passer le petit truc qui ne pouvait pas être anticipé », rappelle Alan Roura, déçu mais pas vaincu. Car tous les concurrents désormais, après 50 jours en mer, connaissent pareil sort. Rien que dans son voisinage immédiat : perte de foil pour Isabelle Joschke et bricolages en série pour Giancarlo Pedote, il n’y a guère que Jean Le Cam avec son bateau neuf qui semble encore relativement épargné et a pu continuer à tracer. Mais dans ces contrées, une centaine de milles d’avance n’est qu’une poussière, qui peut être aspirée à la première contrariété !

« C’est rude, sauvage, tonique »

« C’est vraiment un Vendée particulier, une course très intense et difficile, avec des conditions comme je n’en avais jamais rencontrées. C’est dur, clairement. Il ne faut jamais baisser sa garde, pas même une heure. La moindre petite mauvaise option, petite erreur, petit retard ne pardonne pas », résumait Alan Roura, qui a troqué son ciré pour des gants de boxe. Car sur le ring, malgré le combat qui dure, il continue de rendre coup pour coup.

De nouveau dans un front puissant depuis 48 heures, le skipper de Hublot a dû sortir le tourmentin, cette petite voile de couleur vive qu’on sort dans les tempêtes, pour réduire au maximum la voilure. « Les prochaines heures vont être assez sportives car le vent va se calmer mais la mer mettra plus de temps elle. Donc on va se faire encore défoncer un petit moment, et dès que je pourrai j’irai mettre une nouvelle voile sur le bout dehors », raconte le navigateur combatif, toujours impressionné par ces puissants phénomènes météorologiques. « Je ne gardais pas du tout ce souvenir du grand Sud. La mer était belle et les systèmes moins forts. En discutant avec d’autres skippers, on est tous d’accord là-dessus ! »

C’est en effet des visages marqués par les épreuves successives qui commencent à apparaître devant les caméras. Si la barbe pousse et masque les joues qui se creusent, Alan Roura essaie de ne pas négliger de prendre soin de lui, entre repas chauds – mention spéciale pour les gueuletons de fête et la cuisse de canard qui a parfumé la cabine pour quelques heures – et embryons de siestes emmitouflé dans son duvet. Car le froid n’est plus seulement mordant, il dévore tout sur son passage avec ce vent de Sud qui vient de l’Antarctique, et l’océan qui ne dépasse pas les 7 degrés…

Alors quand le moral flanche parfois, il faut rester concentré sur l’objectif suivant. « Dans 5 jours environ : le cap Horn. Je peux vous dire que je compte les jours, les heures et les minutes », écrit Alan, en 19e position mais à seulement 7 milles de la 17e place… Le grand Sud cette année c’est rude, sauvage, tonique, et pas fait pour faire du bateau. Alors maintenant tu te bouges et tu vas rejoindre l’Atlantique vite fait bien fait. Bref, je commence à parler de moi à la troisième personne, il est temps de revoir du monde : un bateau, un avion, quelque chose. Une terre, ah ça, ce serait cool de voir un caillou. Je n’ai pas vu de terre depuis les Sables d’Olonne. »

Ecrire ces mots empreints d’une douce folie quand on est au point Nemo est d’une triste  ironie : par 48°52.6 Sud, 123°23.6 Ouest, il faut compter quelque 2 688 kilomètres pour atteindre la terre la plus proche, l’île Ducie, un atoll inhabité des îles Pitcairn… Mais avec plus de 350 milles avalés sur les dernières 24 heures malgré des vents instables et une mer croisée, l’IMOCA Hublot revient toujours plus fort vers la maison. Plus à 100 % de son potentiel, avec un jeu de voiles dégarni et une liste toujours trop longue d’avaries, mais avec toujours cette même envie d’être à la hauteur de cet immense défi !




Photo © Vincent Curutchet / Hublot



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