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Vendée Globe, semaine 6 : Rester à la fête

24.12.2024

Alors que le monde entier s’apprête à célébrer Noël, Alan Roura, lui, a les mains dans le gasoil et la tête dans les fichiers météo. Drôle de cadeau que lui a fait cette semaine le Pacifique, en l’accueillant les bras ballants, le vent absent. Pour le Suisse qui avait réussi à prendre la tête de son groupe après une lutte acharnée, la fin de l’Indien a tranché. Alors que ses petits camarades ont profité de le voir « empétolé » pour le contourner et s’échapper, des soucis de groupe électrogène sont venus s’ajouter sur la liste des petits présents dont il se serait bien passé. Mais pas question de ne pas rester à la fête.. À bord de Hublot, ça a bûché sévère pour réparer, et l’heure est déjà venue de rattaquer !

Le son n’est pas celui d’un doux carillon, mais il a rempli d’émotion, ce mardi 24 décembre, un Alan Roura qui avait bien du mal, ces dernières heures, à croire encore au Père Noël. Car s’il n’a pas dormi depuis 48 heures, ce n’est pas pour veiller l’arrivée du généreux patriarche rouge et blanc, mais bien pour provoquer un miracle de saison ! Enfin, après 29 heures de travail dans sa cale à moteur, clés à la main et ballotté au gré des accélérations de son foiler toujours lancé à vive allure, le ronflement de son groupe électrogène s’est fait entendre. « Je pue le gasoil, le bateau sent la mécanique, et moi faut que je dorme, dit-il avec le sourire. Pour vous, ce n’est peut-être pas grand-chose, mais pour moi c’est un moteur qui démarre et c’est surtout un Vendée Globe qui va aller au bout ! »

Car il en a forcément douté, quand son groupe a refusé de démarrer. Sur le roof de son Hublot, il y a bien quantité de panneaux solaires, mais dans ces contrées hostiles que sont les Mers du Sud, le soleil, s’il prend la peine de se révéler, est toujours très éphémère ! Ce n’est donc pas là-dessus qu’il aurait pu compter pour trouver l’énergie nécessaire à alimenter tout son matériel électronique, à commencer bien sûr par son précieux pilote automatique.

Alors a commencé le nouveau casse-tête. « Il a fallu comprendre ce qu’il se passait, on a eu des soupçons sur la batterie, puis sur le carburant. J’ai vérifié toute la tuyauterie jusqu’aux injecteurs, mais tout fonctionnait bien. J’ai changé le démarreur du groupe pour voir si c’était lui qui posait problème ! J’ai démonté aussi le moteur, j’ai fini par trouver une piste de ce qui se passe : il s’était mis en sécurité sûrement dû à un court-circuit, en tous cas c’était plutôt du côté électrique. » Il faudra encore sûrement travailler un peu pour s’en assurer définitivement, mais c’est tout de même un sacré soulagement !

« C’est un jeu de « yo-yo » 

Et cela tombe pile au bon moment pour le marin de Hublot, qui cette semaine a encore joué aux ascenseurs émotionnels. Toujours à la bagarre avec ses camarades d’échappée, Jean Le Cam, Isabelle Joschke et Giancarlo Pedote, le navigateur a franchi mardi 17 décembre le cap Leeuwin en mode « Poney Club à 25 nœuds, ça tartine » ! « Ça fait vraiment du bien de retrouver des vitesses dignes d’un bateau à foils », se réjouissait Alan Roura, heureux comme un enfant à Noël de voir son compagnon s’élever au-dessus des vagues façon traîneau magique.

« C’est un jeu de « yo-yo » entre nous depuis plusieurs jours, ça se joue à 50 ou 60 milles. Avec Giancarlo aussi, ça reste très serré. On est dans un groupe où chacun pousse l’autre vers le haut : dès qu’un accélère, tout le monde suit. C’est intense ! Même si on s’attend tous à tomber dans la molle d’ici 48 heures, on reste au coude à coude, prêts à jouer chaque opportunité ! », résumait parfaitement le marin, prêt à assumer sa partition et jouer les trouble-fêtes.

Sous l’Australie, ça bataille sec ! Alors que les nuits raccourcissent de plus en plus, elles semblent quand même longues quand on ne dort pas, et qu’on doit charbonner dans le grand froid. Parfois, il s’emmitoufle dans son sac de couchage, « on pourrait croire que je suis une chipolata sur un barbecue, secoué en permanence. » Quelle cuisson ? À point nommé ! Après des semaines à freiner pour éviter la casse dans l’Indien sauvage, voici le Suisse qui déboule pied au plancher. En 24 heures, il avale 530 milles, et s’empare de la 17e place au nez et à la barbe de ses camarades de chambrée. « Je sens que le bateau est vivant, équilibré et léger, il file sans effort. Je n’ai pas besoin de forcer avec trop de voiles, ça passe tout seul, nous fait-il rêver. Je vais passer dans le Pacifique la nuit prochaine. Une sacrée étape, et je suis super excité à l’idée de retrouver cet autre grand océan. » Mais la danse de la joie sur la BO de La Reine des Neiges – « Libéréééé, Délivrééé » - est de courte durée !

Pétole, mistoufle, panne de ventilo

Car les retrouvailles ont un arrière-goût amer, sous « un ciel qui semble être à hauteur de tête de mât » ! Pétole, mistoufle, panne de ventilo… voilà l’océan qui se prend pour un lac, et même si un Suisse s’y connaît en la matière, il y a de quoi être perturbé ! La dernière ligne droite dans le Grand Sud « risque d’être tout sauf droite en réalité », s’inquiète Alan Roura, qui, bien obligé, fait son choix « ça reste encore incertain donc pour l’instant, je joue la simplicité : route directe ! »

Mais décidément, ce Vendée Globe semble le narguer et lui rétorquer « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué » ! 1 noeud de vitesse de moyenne en 24 heures, le temps s’arrête et la douche est froide, voire glaciale. Qu’à cela ne tienne, il faut faire avancer cette job-list de Noël qui s’est allongée au fil des vagues, des rafales et des semaines. « Je profite de la molle pour avancer sur mes dossiers. Ça a fait une journée bien chargée hier, où j’ai affalé et renvoyé deux voiles, idem avec la grand-voile, mais au moins c’est propre et tout est ok pour le Pacifique ! », raconte le marin qui a transformé son IMOCA en atelier de lutin…

Mais parfois, être le premier ne rend pas la chose plus aisée, au contraire. On sert de repère à ses compères de derrière ! Légèrement décalés dans son Nord-Est, ses trois concurrents directs parviennent à redémarrer, tandis qu’Alan Roura reste englué. « Giancarlo était à 2 miles et a réussi à attraper la risée. Pas moi. Je l’ai vu partir sans rien pouvoir faire, ce n’était pourtant pas faute de rester éveillé toute la nuit, à l’affût du moindre souffle de vent, à virer 50 fois, et à empanner autant. Rien n’a payé, c’est rageant », raconte le Suisse lundi matin, soit plus de six semaines après son départ des Sables d’Olonne. Les fichiers météo nous faisaient passer au Sud, mais le système a grossi sur nous et nous a rajouté 12 heures de plus sans vent. C’est dur à accepter, je suis en train de perdre tout ce que je me suis arraché à remonter. J’en ai gros sur la patate là. Je suis dégoûté. »

Deux réveillons pour le prix d’un

Voilà pour le retombé de soufflé, auquel se sont donc entre-temps rajoutés les caprices motorisés... Mais à l’image de cette petite victoire arrachée en fond de cale, les outils à la main, la rage de revanche d’Alan Roura reste inchangée, voire décuplée ! « Ne me reste qu’à garder espoir et à continuer de me battre, afin de pouvoir ré-attaquer en mode chasseur, écrit le marin encore en sureur. Je vais tâcher de ne pas passer à côté de la dépression qui est devant pour sauver les meubles, et arrêter l’hémorragie des milles nautiques perdus ! »

Opération réussie pour le skipper de Hublot, reparti à plus de 16 nœuds de moyenne sur les dernières 24 heures, soit deux nœuds plus vite que le plus véloce de ses concurrents, Jean Le Cam, qui a repris la tête de la cordée. Pour Alan Roura, qui aura le rare privilège de célébrer par deux fois le jour de Noël à la faveur du franchissement de l’antiméridien, la fameuse longitude 0 qui va le faire reculer d’un jour, on se prend à rêver : peut-être y aura-t-il double ration de cadeaux ? Ce qu’on lui souhaite au pied du sapin, c’est l’opportunité de montrer toute l’étendue de son talent, et prendre à nouveau l’ascendant… tout en continuant de nous faire rire, pleurer, et vibrer… comme un moteur bien huilé !


Photo © Vincent Curutchet / Hublot



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