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Vendée Globe, semaine 1 : Entrer dans son histoire

18.11.2024

Il y a des semaines qui semblent durer une vie. Celle que vient d’achever Alan Roura, la toute première de son troisième Vendée Globe, en fait assurément partie, tant elle a concentré les émotions, les exigences, les doutes et les belles victoires. Sur lui-même d’abord, mais surtout sur ses concurrents.

Parfois on peine à y croire. Autant de rebondissements, de difficultés, de coups du sort : même la plus créative des fictions n’oserait pousser le vice de la tension scénaristique aussi loin. C’est pourtant tout ce qui fait le sel du Vendée Globe, ce tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance : une épreuve où absolument tout peut se passer, mais surtout l’inattendu.

On avait quitté Alan Roura, ou plutôt Alan Roura nous avais quittés, nous, terriens bien arrimés sur notre plancher des vaches, à quelques milles des Sables d’Olonne, en Vendée. Avant de le laisser s’éloigner pour quelques mois, plus de 350 000 personnes avaient accompagné sa descente du chenal, vibrant bruyamment à l’unisson avec le marin, petit point sautillant avec son drapeau suisse à la proue de sa bête de technologie jaune et noire aux couleurs de Hublot. Au moment du départ, à 13h02 dimanche 10 novembre, Alan, enfin, se retrouvait seul face à son histoire.

Pas de cadeau au cap Finisterre

Si les premières heures de course se firent au ralenti, comme pour mieux digérer les émotions du départ, le navigateur est rapidement parvenu à se « mettre en mode course », disait-il depuis sa petite boîte noire où il vit désormais reclus. Un souffle de vent l’aidait à s’attaquer à la première étape de ce long parcours : le golfe de Gascogne. Souvent redoutable à cette période de l’année, il fut, une fois n’est pas coutume, relativement clément avec les concurrents de cette dixième édition du Vendée Globe. Quinze nœuds de vent, une mer plate, des températures douces, un coucher de soleil doré, un ciel peuplé de milliards d’étoiles, et certes seulement 20 minutes de sommeil sur les premières 24 heures pour conserver cette 15e place au classement, mais tout de même : était-il vraiment parti pour l’enfer qu’on décrit souvent ?

Quelques heures plus tard, approchant du cap Finisterre, la parenthèse de douceur était définitivement refermée par Alan, avec ce qu’il filme et décrit comme une « figure de style » de son IMOCA Hublot. Imaginez le bec de cet oiseau de 18 mètres de carbone se planter dans une vague de plusieurs mètres au point d’en sortir les safrans de l’eau, et de se coucher violemment sur le côté, tête de mât frôlant la houle. « On dit toujours que je ne filme pas quand ça va pas, bah là, ça va pas », réussissait-il encore à plaisanter au milieu de sa galère – on ne se départit donc jamais de sa bonne humeur quand on est un éternel joyeux de l’espèce d’Alan Roura ?

Le ton était donc donné sur ce passage au large de la pointe espagnole, dans des rafales à 40 nœuds de vent, une mer croisée, tout en slalomant avec les innombrables pêcheurs, cargos, plaisanciers et paquebots qui peuplent la zone. Qu’importe les obstacles, Alan Roura s’accroche et « met la gomme », optant tout de même pour la prudence en choisissant un passage au nord du dispositif de séparation du trafic (DST) pour éviter les multiples manœuvres le long de la côte !

« Je suis à 50/50 entre plaisir et frustration ! »

Malheureusement, le vent prévu sur les fichiers météorologiques étudiés compulsivement par le marin suisse s’avère moins fort qu’attendu, et la mer courte et hachée l’empêche de glisser... L’option Est s’avère décevante pour le compétiteur, dont la motivation à recoller aux leaders reste intacte. Alors il « entre dans sa bulle de concentration » et s’emploie à « appuyer sur le champignon », tout en se reposant pour « garder ses moyens et son sang-froid ».`

Bord à bord avec deux concurrents sérieux, Damien Seguin (APICIL) et Arnaud Boissières (La Mie Câline), Alan Roura est « sur tous les réglages. J’essaye de pousser ma machine et de remonter petit à petit, j’ai toutes mes voiles intactes et un bateau à 100 % », atteignant au lever du cinquième jour l’île de Madère coiffée de son champignon de nuages. « Je suis à 50/50 entre plaisir et frustration ! », résumait le marin suisse.

Coup de pouce du destin

Ce ratio allait toutefois vite basculer du côté du « pur kif » pour Alan Roura, à la faveur d’une facétie météorologique qui attendait la flotte de la dixième édition du Vendée Globe au détour des îles Canaries. Une immense et inhabituelle zone sans vent accueillait en effet la tête de flotte, forçant à un ralentissement général… et offrant une belle opportunité pour Hublot de recoller au peloton !

Mais il fit bien mieux que ça ! Patiemment, sans faire de vague, l’expérimenté navigateur travaillait sans relâche pour profiter de chaque opportunité de vent pour faire avancer sa machine, tout en s’employant à ne pas l’abîmer dans les lignes de grain où le vent pouvait soudain se fâcher et envoyer de violentes claques à 35 nœud. 

« Je n’avais jamais connu cette situation dans l’Atlantique. Jamais vu une telle dépression qui bloque les alizés et qui est statique pendant aussi longtemps. Jamais vu non plus un vent aussi actif dans le sud de celle-ci… Comme quoi, il faut une première à tout, c’est pour ça qu’on retourne sur le Vendée Globe : parce que ce n’est jamais la même histoire », résumait avec une lucidité qui force le respect le skipper de Hublot.

Et il fut bien récompensé pour son abnégation ! Grâce à son positionnement à l’Est de la flotte, voilà Alan Roura qui remonte au classement, au point d’en occuper même la seconde place. Le marin suisse se filme alors au milieu de cette immensité bleue à peine ridée par le vent, déambulant sur son compagnon de carbone, un sourire à s’en bloquer pour toujours les zygomatiques. « Ça fait du bien de revenir dans le match. Il faut se battre jusqu’au bout, et c’est ce que je vais continuer à faire. C’est que du bonheur ! », lance le solitaire à sa caméra, et on sent alors l’immensité du travail accompli pour en arriver à cet instant précis. L’histoire d’un petit gars de l’océan formé à l’école du bateau familial devenu, à force d’audace et de ténacité, un pilote de course aux avant-postes du Vendée Globe ! Dans ces moments-là, on défie quiconque de ne pas être contaminé par ce bonheur si puissant…

« Je garde en tête que j’en suis capable »

Même au sommet pourtant, Alan Roura reste Alan Roura, et il n’en oublie pas les autres. Il envoie ses pensées à son équipe « qui a travaillé comme des dingues pour en arriver là », à ses partenaires qui le soutiennent, à ses proches, mais aussi… à son concurrent Maxime Sorel qui, quelques heures plus tôt, a dû abandonner son Vendée Globe, victime d’avaries et d’une vilaine blessure à la cheville. « Je voulais dire que je suis de tout cœur avec lui. Ce n’est pas rien ces projets Vendée Globe, on se prépare pendant quatre ans et ça peur s’arrêter en 4 jours. Alors il faut profiter de chaque instant sur nos machines de guerre, même si parfois tu te demandes ce que tu fais là ! Mais c’est notre place d’être ici, de braver les éléments avec nos bateaux de dingue », écrivait-il depuis son siège de veille.   

Ainsi s’est clôturée la première semaine de course d’Alan Roura sur son troisième Vendée Globe, encore prisonnier de cette persistante pétole alors qu’à l’Ouest, la concurrence regagnait du terrain. « C’était une position éphémère, il va se passer encore beaucoup de choses avant même d’atteindre l’équateur, expliquait le jeune marin. Mais je garde en tête que j’en suis capable, qu’il faut que je continue de croire en moi, en mon bateau, en mon histoire ».

Souvent, en écoutant Alan Roura, on se dit qu’il y a une vieille âme enfermée dans ce corps d’éternel gamin de 31 ans. C’est peut-être qu’à force de vivre des semaines qui semblent durer des années, on découvre un peu du secret de l’éternité... Si la suite de ce troisième Vendée Globe s’avère en tous cas aussi intense et disputée, c’est peu dire que tous les passionnés d’aventure et d’adrénaline de Suisse et de Navarre vont continuer à vibrer aux côtés de leur petit protégé. 



Photo © Jean-Louis Carli / Aléa 



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