Hier, à travers la lueur du jour, j'apercevais les voiles de La Mie Câline, à 1 mille à mon vent, depuis des heures et des heures. Ce matin, alors que le jour se lève sur la pointe la plus Sud de notre planète, j'attends de voir se dessiner une terre, même si je suis relativement loin d'elle. C'est la première fois dans cette course où je suis vraiment heureux et fier de moi.
J'ai accumulé les emmerdes, j'en ai bavé, j’en ai pleuré mais je n’ai pas lâché. Aujourd'hui j’oublie le classement, je profite de cette petite victoire personnelle. Je serai double cap Hornier dans quelques milles. Le vent m'écarte du caillou, je ne suis pas sûr de pouvoir le voir cette fois-ci, j’aurais aimé pouvoir admirer cette île tant attendue. C’est bon d'avoir rejoint le continent. Je ne suis pas très bien classé, Cali m’est passé devant mais honnêtement, là maintenant tout de suite, ce n’est pas le plus important. C'est tellement beau d’être là, de sortir du grand Sud et de bientôt faire route vers la maison.
J’ai du mal à tenir Cali (Arnaud Boissières), la mer est de face et le vent varie encore beaucoup en force. J'ai été trop toilé en début de nuit, quand l'outrigger est sous l'eau, c'est qu'il est temps de réduire. J’ai donc calmé le jeu et gardé l'oeil ouvert : pas le choix quand on est plus tout seul sur l'eau et surtout aussi proches.
J'ai trouvé deux trois ficelles pour réussir à faire avancer La Fabrique tant bien que mal, ça demande encore plus de temps sur les réglages et le déplacement des poids à bord. Mais bon, c’est mieux que rien. Ce qui m'inquiète pour la suite, c'est d’avoir plus de vent que ça au près et, sans pouvoir quiller, de ne pas réussir à avoir une assiette convenable. On verra bien !
Je continue de me rationner, ce matin j'ai fait couler deux cafés dans la même cafetière. Clairement, c’était dégueu, mais avec du recul ça passe quand même. Ça réchauffe, surtout. Quand je suis allé prendre un ris, j'ai cru que mes doigts allaient rester collés à la grand voile ! Mais bientôt la « délivrance » de ce Sud qui n'a pas été de tout repos et qui ne ressemblait en rien à ce que j'ai connu il y a 4 ans. Il va falloir un bout de temps pour se dire « J’y retourne ! » Mais je vais y retourner. Enfin, j'espère.
Image d'illustration © Pierre Bouras / La Fabrique