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Vendée Globe, semaine 10 : Jeter les dés

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Sur une épreuve aussi extrême que le Vendée Globe, il n’y a pas de chemin tout tracé, de solution livrée, d’appel à un ami ou de panneau indiquant la sortie. Seul face à soi-même, le caractère s’affirme, et la trajectoire se dessine. Si Alan Roura n’est pas une tête brûlée qui fait des paris sur un coup de folie, il est encore moins un partisan de l’attentisme qui recopie bêtement ceux de devant. Alors il a fait son choix, jeté ses dés, s’est lancé tout entier, et maintenant, il faut s’accrocher.

Les investisseurs connaissent bien ce dilemme, au moment de se lancer dans un nouveau projet. En course au large comme dans la vie, la rentabilité n’est pas toujours immédiate. Surtout quand le choix en question est d’aller se fourrer dans beaucoup de vent, au près, avant de se retrouver sans vent du tout avec un peu trop de temps pour cogiter. Le doute fait partie du choix, c’est comme cela, et ce n’est pas Alan Roura qui nous contredira, lui qui cherchait cette semaine « de quoi se distraire l’esprit, alors que j’ai la tête qui va exploser tellement de questions y passent. Des questions qui n’auront pas forcément de réponses d’ailleurs. J’ai l’impression de voir tout le monde s’envoler et moi, rester. Je sais, ce n’est pas qu’une impression ! »

Effectivement, sur la cartographie, l’addition est presque aussi salée que l’océan qu’il s’échine à traverser. Il avait prévenu, se filmant en début de semaine sur le pont de son IMOCA luttant pour remonter au vent dans un vacarme impressionnant : « C’est une option engagée ! ». Mais voilà, on ne se refait pas, et Alan Roura est comme ça. De l’engagement, il en a mis toute sa vie pour monter ses projets et en être là, à disputer son troisième Vendée Globe à seulement 31 ans. Alors à l’heure de faire des choix, il a mis le clignotant vers l’Est, le large, à la recherche de ce petit trou de souris qui pourrait lui permettre de s’échapper, même si cela promettait des heures musclées.

« En phase avec mes décisions »

Devant lui, Damien Seguin a réussi à se faufiler après plusieurs jours au près, mais l’ascenseur n’a pas attendu le navigateur suisse, qui s’est retrouvé empétolé plus longtemps qu’il ne l’espérait. Plus proche de la côte brésilienne, ses concurrents continuaient à avancer, pendant que le skipper de Hublot se retrouvait scotché, avec le seul Jean Le Cam comme compagnon de route. « On ne lâche rien ! C’est du non stop à bord, à régler, à tester, à faire avancer. Ce n’est pas facile, mais je ne veux pas perdre d’énergie à me morfondre », écrivait le marin, forcément atteint moralement par la dégringolade au classement, lui qui avait enfin accroché un Top 15.

Alors avec toute son honnêteté et sa sensibilité, Alan Roura profite d’un message du bord pour rappeler combien l’épreuve n’a rien d’évident. « Il faut savoir que la confiance en moi n’est pas ma qualité première... J’ai appris, avec le temps, à prendre des décisions, à gérer mes émotions, à me faire mal, et à communiquer davantage, avec les autres mais je crois aussi avec moi », écrivait-il sans chercher à embellir la réalité. Mais ce qu’il faut justement en retenir, c’est que le travail paie, notamment celui engagé avec son préparateur mental, Alexis Landais : « Je ne me suis jamais senti aussi bien avec moi-même, avec mon bateau, et surtout aussi en phase avec mes décisions », poursuivait le navigateur dont la détermination n’a jamais été entamée.

Le Pot-au-Noir en juge de paix ?

Car on le dit et on le répète, le chemin est encore long, et surtout loin d’être pavé de bonnes intentions. Partout, la nature dissémine ses pièges, et cette année, elle a réservé à ce groupe de solitaires un Pot-au-Noir carabiné. Plus au Sud qu’à l’accoutumée, et bien plus épais, il donne déjà du fil à retordre au groupe de l’Ouest qui s’y est encastré de plein fouet – le meneur Romain Attanasio n’ayant ainsi parcouru que… 89 malheureux milles en 24 heures.

Alors plus que jamais, il faut cravacher, maintenant qu’Alan Roura a retrouvé du vent après ces longues journées aux abonnés absents ! Retrouvant des vitesses moyennes proches des 20 nœuds sur ces dernières heures, le marin suisse a laissé le Roi Jean dans son tableau arrière, et espère que son décalage dans l’Est pourra enfin payer !

Car comme pour chaque pari, il faut accepter le risque de perdre si on espère gagner. Faire un choix plutôt que l’autre, se lancer tout entier, et s’y accrocher même quand les autres te font douter. Celui qui dit qu’il aurait fait mieux n’a sûrement jamais osé se lancer. « Jamais je ne baisserai les bras ! Je ne me suis pas battu depuis des années à terre et des mois sur l’eau pour baisser les bras quand c’est compliqué », concluait hier Alan Roura, « touché mais pas coulé ».




 © Vincent Curutchet



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