48 heures après son arrivée à Pointe-à-Pitre en septième position de la Route du Rhum - Destination Guadeloupe (catégorie IMOCA) Alan Roura fait le point sur un parcours qui lui aura autant appris qu’il ne l’aura éprouvé.
J’ai vécu un super départ, avec un bon placement sur la ligne, positionné au milieu de la flotte en longitudinal mais dans le peloton de tête, dans le tableau arrière de PRB. C’était très chouette ! J’enchaîne ensuite avec un bon premier bord jusqu’au cap Fréhel et, à l’enroulé de la bouée, il y a plein de voiles différentes, tout le monde sort la garde-robe. J’étais bord à bord avec Maître Coq, sous J0 car je n’avais pas de réel grand gennaker à bord et ce n’était pas génial…
J’attaque la descente du golfe de Gascogne en 12ème position mais je marche bien pendant la nuit, jusqu’à une première barrière de molle, juste avant la dépression. On est tous à vus les uns des autres dans cette phase de pétole, et là il se passe un truc : j’ai une risée que les autres n’ont pas, PRB et SMA juste devant moi et on est les trois à s’échapper. À ce moment, je ne savais pas où j’étais, je n’arrivais pas à récupérer les positions. Tout ce que je savais, c’est que je ne captais plus les autres à l’AIS donc je me doutais que je n’étais pas trop mal.
Dans la première dépression, on réduit la voilure, on essaye de bien gérer le bateau. J’en sors indemne et c’est à l’attaque de la deuxième dépression que j’ai Yann Éliès à la VHF et que j’apprends que je suis 4ème. Yann trace sa route et me dépasse, mais je me sens super honoré d’être où je suis, ça me booste, je me sens un peu comme dans la cour des grands. Tout en sachant que je n’arriverais pas à la tenir, car s’il y en avait un qui avait le couteau entre les dents et qui connaît son bateau par coeur, qui a une expérience de dingue, c’est bien lui.
Je rencontre ensuite mes premiers soucis, ça me démoralise un peu mais j’attends que le vent faiblisse pour réparer le bateau. Je sais que le timing est court pour passer par la même porte que ceux de devant, pour échapper à l’anticyclone des Açores, mais la porte se referme sur moi et je reste bloqué pendant plusieurs jours dans la molle. Avec ceux de derrière qui me reviennent dessus. Là commence un stress monumental de voir que pendant deux jours je suis à 2 noeuds, quand devant ils filent à 15/18 noeuds, à me mettre 500 milles dans la figure. Et je ne peux rien faire.
On choppe finalement assez rapidement les alizés en sortie de l’anticyclone, les trois plans Finot alignés. Sous J0, je ne tenais pas Damien Seguin et Stéphane Le Diraison en vitesse, donc j’ai assez vite compris qu’il fallait que je bourrinne. Sans grand gennak, j’ai donc sorti le spi, du début à la fin. Mais mon principal problème était que la mer était très croisée, et souvent « plein cul », donc le bateau surfe mais enfourne rapidement. Mes foils n’avaient aucune utilité donc il fallait choisir la route la plus courte, au portant VMG. Et sous spi, je ne pouvais pas lofer sans partir au tas, ce qui réduisait ma vitesse puisque le bateau n’était pas calé, ni sur son foil, ni sur son bouchain.
Damien me passe devant à quatre jours de l’arrivée et je me retrouve dans du vent fort sous les grains donc je réduis la voilure. Au moment d’empanner en route directe vers la Guadeloupe et de renvoyer le spi, je cocotte et dans la nuit, il explose. Je suis rincé, je n’ai plus de voile de portant digne de ce nom, Damien est 60 milles devant, Stéphane 90 milles derrière. Là, je me dis que la 6ème place est foutue et que je vais même perdre la 7ème. Ce seront les trois jours de course les plus intenses de ma vie de marin.
Je voulais absolument passer la Tête à l’Anglais devant Stéphane. Au final j’étais devant, mais il avait son bout dehors dans mon tableau arrière (rires). On a passé toute la nuit entre 10 à 300 mètres d’écart, avec encore la bouée de Basse-Terre, sous le vent de l’île, à passer. J’ai découvert le match racing en IMOCA. À la bouée, il prend une risée pendant que moi je suis en train de reculer et il me met 4 milles dans la vue. Honnêtement, là je baisse les bras. Arrivé à la pointe, le vent monte, je le vois au loin, je me mets à pleurer tellement je suis dégoûté… Mais je me rends compte que son cap ne lui permet pas de faire une route directe à cause des grains… Je me mets à faire le cochon dans le gros temps et je reviens petit à petit sur lui. Je ne sais pas si je lui ai mis la pression ou s’il était à bout de force, mais il rate son dernier virement et je repasse devant.
À l’arrivée, j’explose. Le soleil arrive, il y a du monde sur l’eau, la bataille a été intense… Je passe la ligne à 20 noeuds, La Fabrique calé sur son foil, l’étrave qui surgit de l’eau. J’en ai même oublié la sixième place. C’était une belle arrivée, c’était parfait.
Je savais que la Route du Rhum était un sprint, je suis content d’avoir tenu la cadence du début à la fin. Ça m’a prouvé que j’ai évolué, que je tiens la route à la fois moralement et physiquement. Je pense avoir passé un cap, j’ai augmenté mon curseur lorsqu’il faut tirer sur le bonhomme et sur le bateau. Le Rhum est une des meilleures écoles, il faut se faire mal, mais sans casser.
Ce n’était clairement pas une course pour les foilers, mais j’ai un bateau de malade ! Il est très dur physiquement, c’est un bateau de bourrin, il est à la hauteur de mes espérances. On a créé un lien, c’est devenu MON bateau, je le connais et je sais de mieux en mieux comment le faire marcher. L’ajout de foils ne m’a peut-être pas beaucoup favorisé sur cette course mais quand les conditions sont là, il n’y a pas photo avec les bateaux à dérives droites.
J’ai eu deux grosses journées depuis mon arrivée, avec beaucoup de sollicitations sur place et en Suisse avec les médias, donc je vais prendre un peu de repos ! Il y a un petit peu de travail sur le bateau avant de reprendre la mer, mais mon équipe est sur place et ultra motivée pour qu’on soit prêts à partir au plus vite. Je dois attendre la remise des prix obligatoire de samedi et lundi 26 novembre, le bateau quittera Pointe-Pitre.
Au retour du bateau en Europe, un chantier d’hiver est prévu pour remettre La Fabrique au propre et poursuivre les optimisations entamées cette année. Je reprendrais ensuite les entraînements, au taquet, pour débuter la saison IMOCA dans les meilleures dispositions. Le calendrier 2019 n’est pas encore complètement figé, mais la Transat Jacques Vabre se profile déjà, avant d’attaquer une riche année 2020, qui arrive finalement très, très vite…
> FAITS DE COURSE : ALAN RACONTE SES AVARIES CACHÉES <
Photo © Christophe Breschi / La Fabrique Sailing Team